Contrairement à ce qu’affirment ses rares biographies, Jacques Laplaine, dit «J. Lap», n’est pas né à Joigny. En revanche, il y a passé une grande partie de son enfance et son adolescence, s’y est marié (en 1945) et y est enterré, aux côtés de ses parents. Lap reste l’un des plus importants dessinateurs de l’histoire du Canard enchaîné.
Son père, Marcel Laplaine (1894-1957) est originaire d’Irancy et sa mère, Germaine Bonfillout (1901-1984), de Joigny. C’est par sa branche maternelle que son histoire s’enracine dans le Jovinien. Jacques Laplaine, lui, naît à Paris, le 20 juin 1921, au domicile familial, au 19 rue Turgot, dans le IXe arrondissement. Marcel, qui a commencé comme maçon (le métier de son père), est alors ouvrier des lignes téléphoniques, et Germaine, elle, occupe un emploi de comptable. La famille quitte Paris à la fin des années 1920 et s’installe à Joigny, au 39 boulevard du Nord. Marcel Laplaine est alors agent d’assurances, et son épouse, Germaine est dite « sans profession ».
1946 : il entre au Canard enchaîné
Le jeune Jacques rêve de devenir dessinateur. En 1944, il contribue notamment à Combat, l’une des rares feuilles clandestines de la Résistance à publier des caricatures (« Combat illustré, supplément périodique »).
La Libération est une sorte d’âge d’or pour la presse et le dessin, une chance pour ceux qui débutent. Jacques Laplaine participe à plusieurs journaux, souvent proches des communistes, comme Action (où dessinent aussi Effel et Siné) ou La Marseillaise, et collabore aussi à la petite presse d’humour. Mais c’est en 1946 que commence réellement sa carrière de dessinateur, lorsqu’il entre au Canard enchaîné, où il se lie d’amitié avec Monier et Ferjac. C’est là qu’il commence à s’intéresser à l’actualité et à la politique. Pendant quarante ans, il y publie 30 000 dessins, selon son ami et confrère Gabriel Macé. Il participe également, comme ses amis du Canard (Monier, Grove…), au quotidien Franc-Tireur, issu du journal clandestin de la Résistance. De 1947 à 1957, il y donne un strip, chaque samedi, « Les aventures de Monsieur Cloche ». Il fait paraître aussi des dessins d’humour dans Paris-Presse.
Dessinateur-journaliste
Au Canard enchaîné, Lap commente chaque semaine l’actualité politique. Le dessin est un clin d’œil au lecteur, établissant un pont entre ce qu’il sait, ce qu’il a vu, entendu et le regard incisif que porte le dessinateur. Tout est, alors, affaire de contexte : c’est ce qui rend souvent difficile la compréhension des dessins de l’hebdomadaire pour un lecteur contemporain.
Fidèle à la voie ouverte avant-guerre par Gassier ou Sennep, Lap est adepte du dessin au trait, elliptique : un simple trait de crayon souligné à la plume trempée dans l’encre de Chine ; des à-plats noirs ; une économie de détails. De même, cultive-t-il le dépouillement de la caricature : ses personnages doivent être immédiatement identifiables pour le lecteur. Ce qui compte, au fond, c’est d’abord l’idée, amplifiée par la légende.
Au Canard, le dessinateur est d’abord un journaliste. Comme le dit Lap dans le film de Bernard Baissat, Aux quatre coins coins du Canard, les dessinateurs « doivent avoir une sérieuse discipline du journalisme. Faire un dessin qui soit drôle pour être drôle, mais qui n’est pas vrai politiquement, qui ne décrit pas une situation politique réelle, ce n’est pas la peine… ».
De Gaulle, et tous les autres
Pendant quatre décennies, Lap brocarde les hommes politiques, De Gaulle, au premier chef : « Le général de Gaulle avait tout pour tenter un dessinateur. Il a créé une génération de dessinateurs qui n’aurait pas existé sans lui ».
« Les hommes politiques », affirme-t-il encore, reprenant les propos de Monier ou de Ferjac, « doivent ressembler aux dessins qu’on fait d’eux. Il faut aussi que l’actualité ait du talent ».
Il les a tous dessinés : De Gaulle, Pompidou (« Pompe-idou », comme il le surnomme au moment de la crise pétrolière de 1973), Giscard d’Estaing, Mitterrand, Marchais, etc. Il conçoit aussi, dans l’hebdomadaire satirique, un strip intitulé « Les aventures de Babarre », l’éléphantesque, consacré au Premier ministre de Giscard d’Estaing, Raymond Barre (1976-1981).
Dans la tradition de Guilac, qui les avait créés, Lap est également le dessinateur des canards et canetons qui peuplent les pages de l’hebdomadaire satirique de la rue Saint-Honoré.
Installé près de Chartres, à Jouy (Eure-et-Loir), Jacques Laplaine meurt le 2 janvier 1987, à 65 ans. Deux jours plus tôt, paraissait son tout dernier dessin dans Le Canard enchaîné. En 1991, au grand dam de ses amis du Canard enchaîné, un millier de ses dessins originaux sont dispersés lors d’une vente aux enchères à Drouot. Par bonheur, la Bibliothèque nationale de France en conserve quelques-uns.
Christian Delporte
Pour aller plus loin :
- Bernard Baissat, Aux quatre coins coins du Canard, film,1976.
- Christian Delporte, « Le dessin de presse, arme de rire et de combat », in Plantu dans « Le Monde », hors-série du monde, janvier 2023, p. 84-91.
- Jacques Lamalle, Le Canard enchaîné. La Ve République en 2000 dessins, 1958-2008, Les Arènes, 2009.
- Laurent Martin, Le Canard enchaîné ou les fortunes de la vertu. Histoire d’un journal satirique, 1915-2000, Flammarion, 2001, rééd. en poche, Nouveau-Monde Editions, 2005.