L’« inondation du siècle » à Joigny

Spectaculaires, les images de la crue de la Seine, à Paris, en janvier 1910, ont marqué durablement les esprits. Son importance est liée au gonflement des eaux de ses trois sous-bassins, dont celui de l’Yonne, alimentée par l’Armançon, le Serein et la Cure. L’Yonne déborde sur tout son itinéraire. A Joigny, le maximum de la crue est atteint le 22 janvier 1910, causant une inondation plus forte que la précédente, en 1876.

Le phénomène est lié à une conjonction de facteurs météorologiques. De septembre à décembre 1909, les pluies, deux fois supérieures aux normales saisonnières, ont saturé les sols en eau. Or, après quelques jours d’accalmie, les pluies reprennent début janvier et se font particulièrement intenses du 18 au 21 janvier.

D’Auxerre à Sens, les autorités comme les habitants sont surpris par la brutalité de la montée de l’eau et la violence des écoulements. A Joigny, la ville basse, le quai de Paris, le faubourg Saint-Florentin, la promenade du Midi, l’avenue Gambetta, le faubourg de Paris, toute la rive gauche sont sous les eaux. Le bateau-lavoir, en aval du pont, est emporté, et on craint même, un moment, que le pont cède.

Le 24 janvier, la décrue s’amorce, mais la fonte de la neige tombée sur le Morvan, fait de nouveau monter le niveau de l’Yonne, dès le lendemain. Les sols sont gorgés d’eau et, parfois, comme à Saint-Aubin, des torrents de boue dévalent des hauteurs (faisant notamment s’écrouler une ferme). Joigny n’est sortie d’affaire qu’après une semaine de crue. Vient alors le temps du bilan, de la solidarité et de la reconstruction. L’Yonne déborde à nouveau en 1924, mais ses conséquences sans commune mesure avec les dégâts causés par l’inondation de 1910.

Voici quelques extraits de presse qui témoignent du caractère inédit de l’inondation de 1910 :

« Des drames.

A Joigny, les récoltes maraîchères sont détruites. Des marronniers ont été déracinés par la virulence des tourbillons, et un pont arraché, route de Chamvres. A Sens, mêmes drames : sauvetage des habitants de la rue d’Ile-d’Yonne et du quai de la Convention. Dortoirs improvisés. Soupes en plein air. Route coupée à Tonnerre. Un lac s’étend sur les prairies riveraines de l’Armançon et du canal de Bourgogne. De cent points du département de l’Yonne, on supplie Auxerre pour des secours urgents ».

(Le Matin, 22 janvier 1910)

« Joigny. – Le désastre devient de plus en plus grand. Le faubourg du Pont est inondé, l’eau ayant passé par-dessus la digue qui le protège. Dans les rues Chaudot et Saint-Thibault, les allées et venues des barques déménageant les gens est incessant. L’eau a envahi les quais. La rue d’Etape est coupée, le faubourg Saint-Florentin est sous l’eau. Un mur de 8 mètres s’est écroulé ».

(La Tribune de l’Aube, 23 janvier 1910).

« Joigny, 23 janvier. – Depuis les quelques jours que l’Yonne a quitté son lit, toute la région est submergée ; la plupart des rues de la ville sont couvertes d’eau et les habitants s’enfuient devenant l’inondation.

Hier soir, un lavoir établi près du pont, composé de trois bateaux distincts, a été emmené par le courant ; le bateau affecté à la salle de bains a sombré après s’être divisé en deux parties. Les baignoires brillaient au soleil, avant de disparaître sous les flots. Les deux autres bateaux affectés à la laverie et à la salle de coulage, ont été entraînés sur un pré qui est actuellement submergé.

Les pompiers et les cavaliers du 1er régiment de dragons rivalisent de zèle pour secourir les inondés. Le service d’ordre est assuré par MM. le sous-préfet Bailly, le capitaine de gendarmerie Garnier et le commissaire de police Legoy.

Si la crue continue, le pont de l’Yonne qui est très vieux pourrait s’écrouler ; des plantons font circuler les curieux qui stationnent dessus.

Une dépêche officielle adressée par l’Ingénieur de Sens au sous-préfet annonce que la crue atteindra son maximum aujourd’hui ».

(Le Journal, 24 janvier 1910)

« Dans l’Yonne, c’est un véritable désastre. La rivière, en certains endroits, s’étend sur une nappe de plus de deux kilomètres de largeur.

La manutention militaire d’Auxerre n’a pas pu fabriquer du pain hier ; l’eau avait envahi les pétrins mécaniques.

A Auxerre, à Joigny, dans certaines rues, on pourrait circuler en bateau.
La ville de Tonnerre est en grande partie submergée par une crue extraordinaire de l’Armançon et du canal de Bourgogne ».

(Le Soleil, 25 janvier 1910)

« A Joigny, la crue est en décroissance, de même qu’en amont. L’eau a fait de tels ravages sur la ligne de chemin de fer d’intérêt local, près de la gare, coupant le balast et disloquant les ponts, que les voyageurs doivent descendre au moulin de Pompelles, à un kilomètre de la ville.

A Villeneuve-sur-Yonne, un comité de quinze membres a été nommé qui a été chargé d’ouvrir une souscription pour venir en aide immédiatement aux inondés les plus nécessiteux. (…) On sait quel affolement, quelle affreuse panique se sont produits à Sens, mardi à la suite de l’annonce de la nouvelle crue de l’Yonne. Le calme est enfin revenu dans la ville inondée. Mardi, à 9 heures, la municipalité, d’accord avec le sous-préfet, a fait annoncer que les habitants des maisons non atteintes par l’eau pouvaient y rentrer ».

(Le Petit Bourguignon, 28 janvier 1910)

« Joigny.- Le concert organisé par la municipalité et les autorités civiles et militaires, au profit des inondés de Joigny, est fixé à lundi prochain. Prendront part à ce concert : MM. Fourneta, Barrié, Mlle Panis, de l’Opéra ; M. Roger Martin, violoncelliste, premier prix du Conservatoire ; Mlle Beyra, de l’Odéon ; Mlle H. Delorme, du Conservatoire, pianiste ; la Société Philarmonique de Joigny.

Le prix des places est ainsi fixé : Loges, 5 fr. Balcon : premier rang, 4 fr. ; deuxième rang, 2 fr. 50 ; troisième rang, 3 fr. Stalles d’orchestre, 4 fr. Baignoires : premier rang, 3 fr. ; autres rangs 2 fr. 50. Parterre, 3 fr. Loges, deuxième galerie, 1 fr. 50 Deuxième galerie, 75 centimes.

Les dames sont instamment priées de venir sans chapeau ».

(Le Petit Bourguignon, 24 février 1910)


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