Témoignage sur Delpy, peintre jovinien (1842-1910)

Son père, pharmacien, voulait qu’il reprenne son officine à Joigny ; mais Hippolyte Camille, lui, rêvait de devenir peintre !


Doc. 1 : Delpy, La maison de Monsieur Lucas, 1890

Le hasard fait que sa tante maternelle a épousé Hippolyte Lavoignat, peut-être le meilleur graveur de son époque. Il connaît tous les artistes de Paris, et est très proche d’Honoré Daumier, de Camille Corot et de Charles-François Daubigny. C’est ce dernier, l’un des maîtres de l’école de Barbizon, qui va changer le destin de Delpy et l’éloigner définitivement de la pharmacie. Un jour, Lavoignat amène Daubigny à Joigny et le présente à la famille Delpy. Le jeune Hippolyte Camille l’écoute avec fascination, et Daubigny lui-même décèle chez l’enfant un talent en devenir. Il lui enseigne les premiers rudiments de la peinture en l’emmenant sur les bords de l’Yonne, où il l’exerce au paysage. Ce séjour en appelle d’autres, forgeant la vocation de Delpy.


Doc. 2 : Charles-François Daubigny

À 13 ans, il quitte le foyer familial du 4 place du Pilori, pour la première fois. Son père a accepté de le laisser partir pour rejoindre son oncle à Paris. L’aventure artistique commence. Désormais chaque été, Daubigny l’accueille à Auvers-sur-Oise, où il a aménagé une barque-atelier, baptisée « Le Botin ». Ses amis peintres y prennent place pour saisir les paysages entre ciel et eau. Delpy y rencontre notamment Corot qui, cependant, aura beaucoup moins d’influence sur lui que son maître Daubigny.


Doc. 3 : Le Botin, Charles-François Daubigny, gravure

En 1869, il présente ses premières œuvres au Salon. En 1876, il se marie à Auvers avec Louise-Berthe Cyboulle, elle-même fille de peintre. Cette même année, il organise la vente de ses toiles à Paris, à l’Hôtel Drouot : 45 d’entre elle trouvent preneurs, ce qui l’encourage à poursuivre dans la voie choisie.


Doc. 4 : Delpy, Chaumière à Berneval

La suite de sa vie (que raconte Jean-Pierre Reynord dans l’article cité ci-dessous) est faite de hauts et de bas artistiques, de reconnaissance nationale et internationale (médailles au Salon, expositions en Angleterre ou aux Etats-Unis…) mais aussi d’espoirs déçus et de difficultés pécuniaires récurrentes. Observons juste qu’il fait partie de cette génération de peintres qui partagent leur vie entre la campagne, source d’inspiration, et les pentes de Montmartre. Delpy, dans les années 1880, habite place Pigalle. Il fréquente aussi la « villa des arts », résidence-atelier sise rue Hégésippe Moreau (Paris XVIIIe), qui a accueilli Eugène Carrière, Paul Cézanne, Paul Signac, Raoul Dufy, le « Douanier Rousseau », et bien d’autres peintres. C’est là, du reste, qu’il s’éteint, en 1910.

En 1899, dans son livre Silhouettes d’Artistes (Société française d’éditions d’art), l’écrivain et journaliste Yveling Rambaud, qui le connaît bien, dresse d’Hippolyte Camille Delpy ce portrait savoureux :


Doc. 5 : Delpy, autoportrait

« H.-C. DELPY

Ni l’attrait des jujubes, ni la douceur des sirops du julep, ni les belles couleurs flamboyantes des bocaux au liquide bleu, jaune vert et rouge n’ont pu le déterminer à prendre l’état de son pharmacien de père – qui n’aimait pas la peinture – pour son enfant.

N’était-ce pas un peu de sa faute ? Chaque année ne donnait-il pas l’hospitalité à son beau-frère, le célèbre graveur sur bois Lavoignat, et à son ami Daubigny, déjà grand maître, dans sa maison de Joigny, où son fils était né au milieu des boîtes de pilules et des bandages.

A Daubigny on réserverait une grande pièce claire dont les côtés et le plafond étaient vitrés, pièce dans laquelle les prédécesseurs du père Delpy faisaient blanchir les cires, car les pharmaciens d’alors – vous vous seriez voilé la face, monsieur Homais ! – fabriquaient aussi les cierges employés dans les cérémonies religieuses.

Ce qui devait arriver arriva.

L’enfant s’éprit de l’artiste, l’accompagna, marchant dans ses jambes, le suivant partout comme un caniche, le regardant peindre avec admiration, mais du même coup vouant une haine féroce aux petites fioles et aux mortiers de papa.

Il fit le peintre, ainsi qu’on dit à Joigny, Corot d’abord, puis Daubigny, qu’il considère comme le plus complet des impressionnistes, au sens vrai mot du mot, furent ses maîtres. Il préféra d’instinct le talent chaud de ce dernier, dont l’influence est manifeste dans son œuvre – malgré lui ; car ayant eu le tort, à notre sens, de tenter de s’en dégager pendant quelque temps, il dut revenir à sa première manière. Ce que des esprits superficiels pourraient attribuer à une faiblesse, n’était qu’une similitude involontaire de vision entre le maître et l’élève, doués d’un tempérament semblable.


Doc. 6 : Delpy, Soleil couchant, Pampoux-sur-Seine

Vingt-cinq années de Salon, de nombreux paysages peints un peu partout, Normandie, Bretagne, Pyrénées, Hollande, sans compter plus de trois cents bords de rivières et des panoramas en Amérique, voilà l’œuvre de celui qui ne voulut pas être pharmacien !

Et qu’il eut raison !

Delpy a trouvé dans son art plus que des jouissances, – la consolation de toutes les tristesses de la vie : il a conservé même, comme il le dit sans arrière-pensée, l’illusion du chemin de la gloire.

Pourquoi pas ?

Petit, moustaches victorieuses, en perpétuelle dépense d’activité, ce charmant artiste se reconnaît, en outre, à trois signes particuliers : il adore la femme, la pipe et les turquoises. Ses paysages sont chauds et blonds, d’une intensité de vérité et d’une solidité de facture de vrai maître.

Il y a quelques années, passant par Joigny, il alla rendre visite au successeur de son père. Quand il repartit, sac au dos, des voisins causaient sur le pas de la porte :
-Tiens ! dit l’un, qui est ce bonhomme-là ?
-C’est le fils Delpy.
-Qu’est-ce qu’il fait ?
-Y fait l’peintre !
-Y fait l’peintre…et son père qui était un si brave homme ! »


Doc. 7 : photographie de Delpy

Pour aller plus loin :

Lannoy-Duputel, Michèle, Hippolyte Camille Delpy (1842-1910). Invitation au voyage, Le Léopard d’or, 1989.

Reynord, Jean-Pierre, « Hippolyte Camille Delpy (1842-1910) », in 1850-1950, Cinq artistes en Jovinien, catalogue de l’exposition à Joigny, Joigny, ACEJ, 2015, p. 53-63.


Doc. 8 : portrait de Delpy, 1900